RIMONS NOS VIES AVANT QU’ELLES NE RIMENT PLUS A RIEN

RIMONS NOS VIES AVANT QU’ELLES NE RIMENT PLUS A RIEN
L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes ;
Mais, roi je les reçois ; poète tu les donnes.
(Charles X écrivant à Ronsard)

Ce monde est fou. Nous produisons de quoi nourrir tous les terriens et pourtant certains meurent de faim tandis que d’autres crèvent d’obésité. Nous adorons des dieux qui nous disent aimez-vous les uns les autres et nous tuons les autres parce qu’ils n’aiment pas le même dieu que nous ! Nous cherchons le royaume de l’amour et découvrons l’empire de l’argent. Nous rêvons d’être libres comme l’air mais nous sommes esclaves d’une consommation qui nous empêche de respirer. Nous regardons avec envie l’eau de la rivière, mais les pesticides nous interdisent de la boire. Nous avons le feu mais nous laissons nos frères mourir de froid. Nous nous cherchons mais nous ne parvenons même pas à trouver l’autre. Tout cela n’a aucun sens ! Justement ! Profitons de ce bordel pour créer notre propre sens. Transformons ces sens interdits en sens inédits, ces vies qui ne riment à rien en poèmes qui rythment tout. La poésie est partout puisque « La poésie n’existe, en réalité, que dans le cerveau de celui qui la voit » (Maupassant). Parlons en vers et pour tous. Ce qui compte n’est plus le sens – le monde n’en a aucun – mais les sens – tout le monde en a plusieurs. Que nos SMS, nos mails, nos cris et nos douleurs riment, se répondent deux à deux pour dévaler quatre à quatre les marches de l’inattendu. Qu’importe que nos rimes soient pourries puisque c’est pour rire. Nul besoin d’être un poète patenté pour être tenté par la poésie « Tous les individus sont des poètes à des degrés divers », rappelle justement Tristan Tzara. Faire rimer les mots entre eux, c’est jouer avec le langage et ne plus être le jouet d’une langue que l’on ne maîtrise jamais. Martyriser le langage, c’est échapper à sa condition de dominé linguistique, retrouver un peu de liberté, sentir, un temps, le dieu que nous sommes et que nous pensons, à tort, hors de nous. « Il n’y a pas de poète en moi, il n’y a qu’un petit morceau de Dieu qui pourrait se muer en création poétique » écrivait la jeune Etty Hillesum avant de mourir dans un camp. La mort est toujours au bout du chemin. Prenons en main ce chemin. Réchauffons-le de mots doux, de rimes folles, d’aurores boréales et d’épinards en lézard et, peinards, prenons enfin notre panard. Le monde n’est pas un poème, mais chacun peut faire du monde son poème.






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